La Polynésie française est confrontée à une crise sanitaire et sociale d’une ampleur inédite : la consommation de méthamphétamine, plus connue sous le nom d’ICE, explose, ravageant des familles et menaçant l’avenir de la jeunesse polynésienne. Face à ce fléau, le gouvernement a décrété l’urgence nationale, promettant des mesures choc pour endiguer cette vague dévastatrice. Mais au-delà des annonces, la bataille contre l’ICE ne pourra être gagnée qu’avec l’engagement de toute la société.
L’ampleur du fléau : Des chiffres qui donnent froid dans le dos
La Polynésie française est confrontée à une crise sanitaire et sociale sans précédent. Le nombre de consommateurs de méthamphétamine, plus connue sous le nom d’ICE, a explosé ces dernières années, atteignant des niveaux alarmants. Selon les estimations, près de 30 000 personnes seraient aujourd’hui concernées, soit près de 10% de la population totale du territoire. Un chiffre qui a triplé en quelques années, comme l’a souligné le président du Pays, Moetai Brotherson.
Mais au-delà de ces statistiques glaçantes, c’est surtout l’âge des premiers consommateurs qui inquiète. « Le plus jeune cas identifié à ce jour a seulement huit ans« , a révélé le président Brotherson, témoignant de la vulnérabilité croissante des enfants face à ce fléau. Une enquête récente a également révélé que 3,5% des adolescents polynésiens ont déjà consommé de l’ICE au cours de leur vie, un chiffre alarmant qui souligne l’urgence de protéger la jeunesse.
Cette explosion de la consommation d’ICE se traduit également par une augmentation significative des infractions liées aux stupéfiants. En 2022, les infractions de ce type dépassaient largement celles observées en métropole, avec un taux de 5,87 pour 1000 habitants contre 2,87. Les saisies d’ICE ont également connu une hausse spectaculaire, augmentant de 142% par rapport à 2021. Au total, près de 50 kg d’ICE à destination de la Polynésie ont été saisis en 2024 par les douanes américaines et françaises.
Face à cette prolifération des drogues, les forces de l’ordre intensifient leurs actions sur le terrain. En février 2025, l’opération « Matai Rorofai » a permis de saisir plus de 7400 pieds de cannabis et de démanteler plusieurs réseaux de trafic de stupéfiants. Lire l’article complet sur Tahiti Presse
La riposte du gouvernement : Un plan d’urgence ambitieux, mais réaliste ?
Face à l’ampleur de la crise, le gouvernement polynésien a décrété l’urgence nationale et annoncé une série de mesures pour lutter contre l’ICE. « Il s’agit d’une urgence nationale et vitale pour notre territoire« , a déclaré le président Moetai Brotherson, soulignant la nécessité d’une action rapide et coordonnée.
Des moyens financiers importants
Le gouvernement a annoncé l’inscription d’au moins 250 millions de francs CFP au prochain collectif budgétaire, une somme « susceptible d’être augmentée les années suivantes en fonction des besoins« , selon le président Brotherson. Ces fonds seront principalement destinés aux associations de prévention et de prise en charge des victimes, qui jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement des personnes touchées par l’addiction.
Un centre de désintoxication en projet
Le gouvernement envisage également la création d’un centre de désintoxication pour offrir un suivi médicalisé et un sevrage adapté aux toxicomanes. « Nous devons créer des espaces où les toxicomanes pourront être encadrés et suivis sur le long terme, pour s’assurer qu’ils ne retombent pas dans cette « merde », excusez-moi du terme, et ce sevrage peut être très long« , a expliqué le président.
Un appel à l’État et un durcissement des sanctions
Le gouvernement polynésien a également lancé un appel à l’État pour obtenir un soutien financier et un renforcement de la répression. Le président Brotherson a notamment demandé un alourdissement des peines pour les trafiquants d’ICE, regrettant que les condamnations prononcées en Polynésie soient souvent inférieures aux peines maximales prévues par la loi. Il a également plaidé pour un renforcement des moyens d’intervention de l’Ofast (Office antistupéfiants) et une meilleure coordination entre la justice et les forces de l’ordre locales.
Des tests anti-drogue controversés
Pour « donner l’exemple« , les membres du gouvernement polynésien se sont soumis à des tests de dépistage de l’ICE lors d’un conseil des ministres délocalisé à Raivavae. Selon la présidence, tous les tests se sont révélés négatifs. Cette initiative a suscité des réactions mitigées, certains la comparant à celle d’Élise Lucet, journaliste d’Envoyé Spécial, qui avait proposé des tests de dépistage de drogue à l’Assemblée Nationale. Une démarche qui avait été critiquée par la présidente de l’AN, Yaël Braun-Pivet, qui y voyait une « mise en scène« . Si certains saluent la transparence de l’exécutif polynésien, d’autres y voient un simple « coup de communication« .
Au-delà des mesures : Les défis à relever pour vaincre l’ICE
Si les mesures annoncées par le gouvernement marquent une volonté politique forte, de nombreux défis restent à relever pour vaincre l’ICE en Polynésie française.
L’appel à l’aide de l’État : un soutien indispensable
Le président Moetai Brotherson a lancé un appel à l’État pour obtenir un soutien financier à la hauteur des enjeux. « Il faut que l’État mette des moyens supplémentaires au moins à hauteur de ce que le Pays met« , a-t-il insisté, soulignant la nécessité d’un partenariat solide pour lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants. Outre un soutien financier, le gouvernement polynésien espère également une coopération renforcée en matière de renseignement et de répression.
Fidji, un miroir de ce qui pourrait arriver
Moetai Brotherson, également en charge du tourisme, a souligné les conséquences désastreuses de la consommation d’ICE à Fidji, un pays où le problème a pris des proportions alarmantes. « Là-bas, vous pouvez multiplier par 5 le problème de l’ICE et ça commence à être préoccupant pour leur activité touristique« , a-t-il expliqué, ajoutant que la drogue avait des effets néfastes sur le marché du travail et la sécurité. « Nous devons tout faire pour éviter une telle situation en Polynésie« , a-t-il martelé.
Mobiliser la société civile : un enjeu crucial
Au-delà des actions institutionnelles, la mobilisation de la société civile est essentielle pour lutter contre l’ICE. Associations, familles, églises, communes… Tous les acteurs doivent se mobiliser pour sensibiliser les jeunes aux dangers de la drogue, accompagner les personnes touchées par l’addiction et soutenir les familles en difficulté. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé la création imminente d’un délégué interministériel à la lutte contre les addictions, chargé de coordonner les efforts de prévention et de répression sur le territoire.
La jeunesse polynésienne face à l’ICE : quels leviers pour enrayer la consommation ?
L’avenir de la Polynésie se joue aujourd’hui. Face à la menace grandissante de l’ICE, il est impératif de protéger notre jeunesse, cible privilégiée des trafiquants et première victime de ce fléau. Mais comment enrayer la consommation chez les jeunes Polynésiens ? Quels leviers actionner pour leur offrir un avenir meilleur ?
Informer, sensibiliser, éduquer : la triple clé de la prévention
La première étape consiste à informer les jeunes sur les dangers de l’ICE, en leur expliquant clairement les risques pour leur santé physique et mentale, leur avenir et leur entourage. Cette information doit être accessible, adaptée à leur langage et diffusée à travers tous les canaux possibles : écoles, réseaux sociaux, médias, événements sportifs et culturels… L’objectif est de déconstruire les idées reçues et les fausses promesses véhiculées par les dealers.
Renforcer le lien social, l’estime de soi et le sentiment d’appartenance
La consommation d’ICE est souvent liée à un mal-être profond, un manque de perspectives et un sentiment d’isolement. Pour lutter contre ce phénomène, il est essentiel de renforcer le lien social, l’estime de soi et le sentiment d’appartenance chez les jeunes. Cela passe par le soutien aux familles, le développement d’activités sportives et culturelles, la valorisation de la culture polynésienne et la création d’opportunités d’emploi et de formation.
Accompagner, écouter, orienter : une prise en charge adaptée aux jeunes
Enfin, il est indispensable de mettre en place des structures d’accueil et d’accompagnement spécifiques pour les jeunes confrontés à l’addiction. Ces structures doivent être facilement accessibles, confidentielles et animées par des professionnels formés aux problématiques des jeunes. L’objectif est de leur offrir un espace d’écoute, de soutien et d’orientation vers des solutions adaptées à leur situation.
En perspective : Un avenir incertain, un combat indispensable
La Polynésie française est aujourd’hui à la croisée des chemins. Face à la montée en puissance de l’ICE, il est impératif d’agir vite et fort pour protéger notre jeunesse et préserver l’avenir de notre territoire. Les mesures annoncées par le gouvernement témoignent d’une volonté politique réelle, mais leur succès dépendra de la capacité de tous les acteurs à se mobiliser et à travailler ensemble.
Au-delà des actions institutionnelles, c’est un véritable sursaut collectif qui est nécessaire. Chaque Polynésien, chaque famille, chaque association, chaque entreprise, chaque église, chaque commune a un rôle à jouer dans cette bataille. Il est temps de briser le silence, de dénoncer les trafiquants, de soutenir les victimes, de sensibiliser les jeunes et de promouvoir des valeurs positives.
L’ICE est une menace grave pour notre société, mais elle n’est pas invincible. En unissant nos forces et en faisant preuve de détermination, nous pouvons enrayer ce fléau et construire un avenir meilleur pour la Polynésie française.